Le Prix de la Revue d’histoire de l’Amérique française couronne le meilleur article publié dans son dernier volume complet.

Lauréats et lauréates

2022
Ex aequo

Helen Dewar
« Statut corporatif et responsabilité personnelle dans la liquidation des dettes de la Compagnie de la Nouvelle-France »
Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 75, no 4, 2022

Fannie Dionne
« Pierre Potier, l’écriture et le pouvoir à la frontière linguistique de la Nouvelle-France »
Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 75, no 1-2, 2021


2021
Julien Goyette, Louise Bienvenue et Nicolas Devaux
« Regards sur l’évolution de la RHAF depuis 1982 »
Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 74, no 1-2, 2020

Cet article ouvre un numéro spécial double de la RHAF entièrement consacré à un bilan historiographique dans différents champs de connaissances relatifs à l’Amérique française. Julien Goyette, Louise Bienvenue et Nicolas Devaux y relèvent un défi de taille : apprécier la production de la revue elle-même pendant près de 40 ans, soit un corpus de plus de 500 articles scientifiques publiés par plus de 400 chercheurs et chercheuses. Les travaux du genre représentent toujours une entreprise vertigineuse et risquée ; elle l’est d’autant plus dans le cas présent, la RHAF incarnant, aux dires mêmes des auteur.e.s, « un véhicule scientifique de premier plan ». L’exercice a commandé une classification qui a permis de nommer des points forts de l’évolution de l’historiographie, à partir notamment du profil des auteurs et autrices, des principales approches, des champs d’étude et enfin des aires et des périodes étudiées. Le bilan fait ressortir non pas une, mais plusieurs « révolutions tranquilles ». L’augmentation significative du nombre d’articles produits par des femmes est certainement l’une d’elles. Sur le plan des approches, on note le quasi-effacement de l’histoire économique, la portion congrue, mais stable, dédiée à l’histoire politique, et surtout la transition d’une histoire sociale à une histoire culturelle. Si le Québec contemporain recueille le plus d’intérêt sur le plan thématique, l’histoire des travailleurs et celle des Autochtones demeurent des champs à la périphérie – et ce, en dépit de l’évolution résolument socioculturelle des productions. Au final, il ressort de cet exercice une esquisse remarquablement précise et sobre de l’historiographie de l’Amérique française des dernières décennies, ponctuée de portraits prudents et nuancés. Grâce au travail de Julien Goyette, de Louise Bienvenue et de Nicolas Devaux, la communauté historienne bénéficie d’un miroir éclairant de sa pratique actuelle. La solidité du cadre interprétatif des auteur.e.s – qui s’alimente aux autres bilans parus dans le même numéro de la revue et s’appuie sur l’historiographie elle-même – n’a d’égale que la clarté de la présentation des données, restituées sous forme de tableaux et de graphiques aussi bienvenus qu’éloquents. Le jury félicite les auteur.e.s pour ce nécessaire bilan, qui fait écho à la tâche trop souvent ingrate d’éditer une revue savante – une lourde responsabilité dans le cas de la RHAF, laquelle fait figure de symbole dans le réseau historien.


2020
Nicole St-Onge
« Le poste de La Pointe sur l’île Madeline, tremplin vers le monde franco-anichinabé de la traite des fourrures »
Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 73, no 1-2, 2019

Dans un article remarquable pour son originalité, sa rigueur et son élégance, Nicole St-Onge rend visible les « paysages familiaux » qui structurent le monde franco-anichinabé de la traite des fourrures de la partie ouest des Grands Lacs pendant près d’un demi-siècle. Cette cartographie s’appuie sur les archives de l’état civil catholique et celles des principales compagnies exploitant le commerce des pelleteries dans le bassin versant du Saint-Laurent et des Grands Lacs, croisées avec une vaste base de données regroupant plus de 21 000 contrats d’engagements de voyageurs signés à Montréal. En prenant pour point d’observation privilégié le poste de La Pointe sur l’île Madeline au lac Supérieur, l’auteure trace le portrait de quatre familles fondées par des commerçants canadiens-français de la fourrure et met au jour les denses réseaux de parenté, réelle et symbolique, tissés par ces hommes et leurs épouses anichinabées sur plusieurs générations. La reconstitution de ces grappes familiales franco-anichinabées révèle leur forte mobilité géographique au sein de la grande région à l’étude, une mobilité qui témoigne à la fois de la participation des hommes à la traite et de l’ancrage territorial de la communauté anichinabée. Au terme de cette analyse étoffée, pourtant qualifiée de composante initiale d’un vaste projet de recherche, Mme St-Onge insiste sur la spécificité de la communauté étudiée et formule l’hypothèse que cette dernière n’est pas métisse de la même manière que la nation michief du bassin de la baie d’Hudson. Au contraire, cette population franco-anichinabée catholique de la fourrure appartiendrait à deux mondes, entretenant des relations pérennes avec leur parenté de la vallée laurentienne et fortement intégrée dans un réseau centré sur les Anichinabés des Grands Lacs. Une double appartenance qui sera ébranlée par la fin de l’économie de la fourrure centrée sur Montréal. Le jury félicite Mme St-Onge pour une étude d’une grande richesse et des hypothèses des plus stimulantes et novatrices.


2019
Sylvie Dépatie
« Le faire-valoir indirect au Canada au XVIIIe siècle »
Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 72, no. 2, 2018

Si l’historiographie du Québec rural ancien a produit beaucoup de travaux sur les paysans-propriétaires, elle a été beaucoup moins généreuse avec les journaliers, les fermiers et les métayers. Sylvie Dépatie propose d’y remédier avec une étude fine et rigoureuse d’une composante marginale mais néanmoins révélatrice des structures de l’agriculture canadienne au XVIIIe siècle : le faire-valoir indirect. Dans cet univers dominé par le paysan-propriétaire, l’auteure porte une attention particulière aux terres exploitées par des locataires, afin d’en saisir les modalités. L’analyse de près de 700 baux notariés, touchant à des exploitations de trois seigneuries de la plaine de Montréal, soit Chambly, l’île Jésus et l’île de Montréal, révèle une grande variété de situations, qu’il s’agisse de la nature des biens mis en location, des caractéristiques des bailleurs et des preneurs, ou des conditions énumérées dans les contrats. Les documents consultés fournissent un portrait nuancé des pratiques agricoles et de l’aménagement des fermes, ainsi que des relations qui se tissent entre certains propriétaires et locataires. L’auteure nous rappelle ainsi que derrière l’étude sérielle se profilent certes des tendances structurelles, marquées notamment par la géographie – l’influence de la ville de Montréal sur sa frange rurale étant par exemple très nette – mais aussi des expériences singulières. Au terme de la démonstration, trois constats majeurs se dégagent : la persistance du faire-valoir indirect dans des régions qui ont dépassé le stade de la colonisation, la prédominance du métayage, et la mise en location fréquente de grandes exploitations par leur propriétaire.

Si la recherche de l’auteure permet de cimenter avec plus de force le constat selon lequel le monde préindustriel rural québécois est caractérisé par une variété d’états sociaux, elle ajoute un jalon historiographique significatif en invitant à revoir le rôle et le poids des laboureurs – et même le choix d’être propriétaire. Le jury félicite l’auteure pour l’exemplarité de sa méthodologie, son érudition, et les perspectives qu’elle ouvre pour les futurs chercheurs.


2018
Harold Bérubé
« Vendre la banlieue aux Montréalais : discours et stratégies publicitaires, 1950-1970 »
Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 71, no. 1-2, 2017

Le développement de la consommation de masse et l’expansion rapide des banlieues sont caractéristiques de l’immédiat après-guerre nord-américain. L’article de Harold Bérubé fait le pont entre ces deux phénomènes et vient étoffer une littérature peu abondante en histoire de la consommation au Québec (et même au Canada). S’appuyant sur un corpus de publicités publiées dans des journaux montréalais anglophones et francophones, il montre comment les promoteurs immobiliers et les gouvernements municipaux vendirent d’abord les pavillons de banlieue, puis la banlieue elle-même, à une clientèle aux revenus relativement modestes, et ce, en liant l’un et l’autre à une certaine forme de modernité à petit prix. L’auteur prête attention au genre, à la classe, mais aussi à la langue. Quoique la maison ait été un espace codé féminin, la publicité s’adressait aux hommes chefs de famille. Et si les publicités en anglais et en français ont promu le même mode de vie idéalisé, elles n’en respectaient pas moins la géographie linguistique de l’île de Montréal, offrant aux anglophones des logements à Pointe-Claire et aux francophones à Brossard, notamment, perpétuant ainsi dans une grande mesure « les deux solitudes ».


2017
Daniel RÜCK
« « Où tout le monde est propriétaire et où personne ne l’est » : droits d’usage et gestion foncière à Kahnawake, 1815-1880 »
Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 70, no. 1-2, 2017.

Dans cet article, Rück étudie les pressions qui ont transformé la communauté mohawk de Kahnawake dans la seconde moitié du XIXe siècle. Ce faisant, l’auteur porte un nouvel éclairage sur l’histoire des relations entre les peuples autochtones et le gouvernement fédéral, qui va au-delà de la signature des traités dans l’Ouest canadien ou du phénomène des écoles résidentielles. Il démontre de manière fort convaincante que, contrairement à ce que les fonctionnaires du département des Affaires indiennes ont soutenu, la dégradation de la gouvernance autochtone de Kahnawake ne s’explique pas par des problèmes internes, mais plutôt par les multiples interventions du gouvernement fédéral dans l’organisation et l’administration de la communauté, ainsi que par le développement économique de la région montréalaise.

En faisant fi du droit coutumier mohawk sur la propriété, en permettant la construction du chemin de fer Lake St. Louis and Province Line (LSL&PL) à travers le territoire de Kahnawake, en travaillant à miner le pouvoir des leaders traditionnels par la promotion de lois telles que l’Acte pourvoyant à l’émancipation graduelle des Sauvages (1869), en échafaudant des plans pour relocaliser la communauté et en transformant la seigneurie de Sault-Saint-Louis en réserve dans les années 1880, le gouvernement a déstabilisé une société jusque-là prospère. Grâce à une approche originale, à une recherche fouillée, à une démonstration rondement menée et à une prose vivante, l’auteur éclaire à la fois les effets du développement économique de Montréal sur la communauté mohawk de Kahnawake et l’impact négatif qu’a eu l’adoption par le gouvernement fédéral de plusieurs politiques visant son assujettissement. Cet article constituera désormais une lecture incontournable pour quiconque s’intéresse à l’histoire autochtone au Québec.


2016
Susan LACHENICHT
« Histoires naturelles, récits de voyage et géopolitique religieuse dans l’Atlantique français XVIe et XVIIe siècles »
Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 69, no 4, 2016.

Susanne Lachenicht propose une relecture originale d’un corpus d’histoires naturelles et de récits de voyage des XVIe et XVIIe siècles français dans une perspective atlantique et confessionnelle. La contribution démontre qu’à travers cette série de descriptions qui empruntent les formes les plus convenues d’un genre extrêmement balisé, les auteurs, tantôt catholiques tantôt protestants, se livrent à une interminable « guerre de plume » qui en dit tout autant, sinon plus, sur la géopolitique religieuse des pouvoirs européens que sur l’état des territoires américains convoités ou colonisés. L’échec des tentatives de colonies françaises biconfessionnelles, légitimées par une commune ambition de christianisation des populations autochtones, débouche sur une acrimonie réciproque. Dès lors, les relations huguenotes, traduites en anglais, en allemand ou en néerlandais, visent à publiciser et à financer des projets d’établissements au Nouveau Monde tandis que des auteurs catholiques s’efforcent de dépeindre négativement les effets du pluralisme religieux qui vivote aux Antilles françaises. Les persécutions provoquent à la fin du XVIIe siècle un exode qui pose aux puissances protestantes européennes un « problème des réfugiés ». On assiste alors à un dernier déplacement du discours : les écrivains protestants utilisent le genre consacré des histoires naturelles pour faire la promotion d’un peuplement huguenot des colonies anglaises d’Amérique du Nord. Susanne Lachenicht parvient, grâce à une analyse attentive qui s’attache à déceler des enjeux politiques à l’intérieur de textes qui se présentent comme descriptifs, voire scientifiques, à établir une chronologie convaincante des inflexions qui rythment un imaginaire de l’Amérique française dont elle fait voir, avec érudition, qu’il est une projection des polémiques des chrétiens d’Europe.


2015
Mario MIMEAULT
« Du golfe Saint-Laurent aux côtes de la Bretagne et de la Normandie (1713-1760) : L’Atlantique, un monde d’interactions et de solidarités »
Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 67, no 1, 2013.

Rappelant aux lecteurs que « ce sont [l]es individus qui ont donné sens à l’univers atlantique », Mario Mimeault étudie les relations interpersonnelles qui unissaient les entrepreneurs, les investisseurs, les capitaines, les marins et les pêcheurs œuvrant dans le golfe Saint-Laurent, que ce soit de manière saisonnière ou permanente, à leurs parents et à leurs compatriotes demeurés en Bretagne et en Normandie entre 1713 et 1760. Il démontre la nature transatlantique des liens économiques, sociaux et familiaux entretenus par ces travailleurs de la mer œuvrant des deux côtés de l’Atlantique. Mimeault nous rappelle ainsi que non seulement ces travailleurs provenaient généralement des mêmes régions et qu’ils s’engageaient souvent avec un proche parent, mais qu’ils restaient en contact avec leur famille et leur communauté d’origine aussi bien par l’échange de nouvelles avec les nouveaux venus et les marins visitant le golfe de manière saisonnière que par l’envoi de lettres confiées aux soins de capitaines de navires, de compatriotes ou de parents faisant le voyage entre la France et l’Amérique. Grâce à une problématique originale, à une recherche fouillée, à l’utilisation de « tranches de vie » pour illustrer son propos et à une prose vivante, l’auteur donne un visage humain au monde atlantique français du dix-huitième siècle. Les membres du jury saluent cette importante contribution à l’histoire d’une « France à cheval entre deux rives ».


2014
Eva GUILLOREL
« Gérer la ‘confusion de Babel’: politiques missionnaires et langues vernaculaires dans l’Est du Canada (XVIIe-XIXe siècles) »
Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 66, no 2, 2012.

S’inspirant de travaux en linguistique, en anthropologie et en histoire, l’auteure livre ici un texte élégant qui contient une analyse fine et méticuleuse des stratégies linguistiques d’évangélisation développées par des missionnaires en Acadie. Aux yeux de l’auteure, l’Acadie constituait un « espace-test » pour les missionnaires européens qui devaient négocier et éventuellement maîtriser les langues amérindiennes (notamment le mi’kmaq, l’abénaki et le malécite).
La décision d’examiner la longue période qui s’étend des premiers contacts entre missionnaires catholiques et autochtones au XVIIe siècle jusqu’à la moitié du XIXe siècle lui permet d’évaluer la transition entre les régimes français et britannique sous l’angle inédit des choix linguistiques des missionnaires. Elle en arrive à la conclusion qu’au lendemain de la Conquête britannique, la nécessité d’apprendre les langues autochtones devient encore plus pressante pour les autorités ecclésiastiques qui doivent dorénavant faire face à la concurrence protestante.


2013
Dominique DESLANDRES
« “Et loing de France, en l’une & l’autre mer, Les Fleurs de Liz, tu as fait renommer”. Quelques hypothèses touchant la religion, le genre et l’expansion de la souveraineté française en Amérique aux XVIe – XVIIIe siècles »
Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 64, no 3-4, 2011.

Fort original, cet article exploratoire propose quelques pistes afin de comprendre comment, au juste, la France a pris possession de territoires nord-américains. L’auteure se concentre plus particulièrement sur les gestes, les rituels et les cérémonies associés à ces prises de possession. Sans prétendre en offrir des explications définitives, elle interroge les rôles joués par le symbolique et la performance dans la légitimation des rapports d’autorité entre Français et Autochtones, mais aussi entre Français. Son analyse, alimentée par une excellente connaissance de l’historiographie de la Nouvelle-France et de celle de l’Europe moderne, comporte d’importantes dimensions comparatives et croisées. Surtout, l’auteure insiste que le genre et la religion, comme catégories d’analyse, peuvent nous aider à comprendre, et la nature de l’autorité cherchée et exercée par le souverain français, et la nature du consentement accordé (ou non) à cette autorité par les Amérindiens.


2012
Martin PETITCLERC
« L’indigent et l’assistance publique au Québec dans la première moitie du XXe siècle »
Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 65, no 2-3, 2011-212.

Tout en reconnaissant l’influence du regretté Jean-Marie Fecteau et de sa contribution à l’étude de la régulation par l’État du crime et de la pauvreté, Martin Petitclerc insiste sur le rôle fondamental de la loi de 1921 établissant le Service de l’Assistance publique, qui fut un tournant dans la structure et le pouvoir de l’État libéral au Québec. Au lieu de se concentrer sur la vive polémique autour de l’intervention de l’État dans un domaine traditionnellement réservé à l’Église catholique, Petitclerc invite ses lecteurs à porter la réflexion sur l’importance des nouvelles définitions de l’indigence émergeant à l’époque. En effet, la redéfinition de « l’indigent absolu » revêtait une importance idéologique et politique primordiale à l’heure où le Canada s’apprêtait à moderniser ses services sociaux. Ces nouvelles définitions de l’indigence ont permis aux gouvernements Taschereau et Duplessis d’établir de nouvelles formes de certification de l’indigence, d’adopter de nouvelles positions en termes de financement et de réglementation de l’autorité municipale sur les institutions au service des pauvres, et de préparer la position du gouvernement du Québec face aux interventions fédérales dans les juridictions sociales, comme les pensions de vieillesse et l’assurance-maladie. Cet article de Martin Petitclerc, bien écrit et rythmé, s’inscrit dans le cadre de son étude plus large sur l’État-providence. La force de ses arguments en fait une contribution percutante et originale à la compréhension des politiques sociales du Québec.


2010
Serge DUPUIS
« “ Plus peur de l’hiver que du diable” : Des immigrants aux hivernants canadiens-français à Palm Beach (Floride), 1945-1997 »
Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 63, no 4, 2010.

Serge Dupuis y propose une étude remarquable par son originalité, son cadre théorique solide, la diversité des sources utilisées, ainsi que par sa structure limpide. Cette contribution, que l’on pourrait situer au carrefour de l’histoire des migrations et de l’histoire du tourisme, fait de la localité de Palm Beach son cadre d’observation de la présence canadienne-française en Floride durant la seconde moitié du 20e siècle. Cette présence des Canadiens français en Floride (des Québécois mais aussi des Franco-Ontariens, des Acadiens…) se transforme considérablement durant la période étudiée et revêt un caractère qu’il qualifie de nationalitaire.
Alors que dans l’après-guerre, la Floride constitue une destination migratoire dans une logique similaire à celle qui avait prévalu aux migrations vers la Nouvelle-Angleterre avec le soleil en supplément, celle-ci devient progressivement un lieu d’hivernement pour nombre de retraités qui n’en gardent pas moins leurs attaches au Canada. L’auteur a recours à des sources variées, dont les recensements et les archives d’associations francophones de la région de Palm Beach qui rendent l’analyse solide ; il s’appuie par ailleurs sur une série d’entrevues qu’il a réalisées auprès de 25 migrants. C’est à l’un d’eux que l’on doit le sous-titre évocateur de l’article « Plus peur de l’hiver que du diable ». Soulignons enfin qu’en adoptant une perspective large de la francophonie canadienne, Serge Dupuis révèle une certaine solidarité entre les Canadiens français de Palm Beach, contribuant ainsi à la réflexion sur les rapports entre Québécois et minorités francophones hors Québec.


2009
Élise DETELLIER
« “Bonifier le capital humain” : le genre dans le discours médical et religieux sur les sports au Québec, 1920-1950 »
Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 62, nos 3-4, 2009, p. 473-499.

En plus de posséder toutes les qualités linguistiques et stylistiques attendues d’un article primé, celui de Élise Detellier se distingue par le choix d’un sujet à peine exploré et d’autant plus important qu’il ajoute une autre dimension aux rapports de genre qui sont au centre de nos préoccupations historiographiques depuis une vingtaine d’années.
Alors que les historiographies britannique, canadienne et française ont pu démontrer que le genre joue un rôle fondamental dans la conception et la pratique du sport moderne, l’historiographie québécoise est plutôt discrète sur cette question. Élise Detellier avait donc les coudées franches pour analyser la pratique sportive dans cette perspective. Elle le fait brillamment et de plus, en choisissant Montréal comme terrain d’enquête, elle enrichit la problématique initiale de la dimension linguistique et religieuse.
Dans quelle mesure, s’interroge-t-elle, l’appartenance à une communauté ethno-linguistique influe-t-elle sur l’incidence du genre dans les conceptions et les pratiques sportives ? La réponse qu’elle cherche dans les nombreux périodiques médicaux anglophones et francophones et les diverses publications de l’Église catholique, de 1920 à 1950, prend en compte les récents acquis de l’historiographie occidentale et va au-delà de ce qui était attendu.


2008
Alain BEAULIEU
« L’on n’a point d’ennemis plus grands que ces sauvages : l’alliance franco-innue revisitée (1603-1653) »
Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 61, nos 3-4, 2008, p. 365-395

Dans un texte à la fois dense et concis, Alain Beaulieu relate les péripéties des relations entre les Innus et les Français au cours des cinquante premières années du XVIIe siècle. Il réinterprète le sens pour les Innus de leurs alliances commerciales et guerrières et de leurs relations parfois tendues avec les Français pour montrer que si elles répondent à des impératifs commerciaux, elles s’inscrivent aussi et surtout dans leur volonté de préserver la souveraineté sur leur territoire et d’en contrôler l’accès.
C’est pour préserver cette souveraineté que les Innus se refusent avant 1640 à guider les missionnaires sur leur territoire et qu’ils contraignent les traiteurs à se servir d’eux comme intermédiaire pour établir des relations avec les peuples qui vivent au-delà. Puis, au début des années 1640, ils doivent se résigner à abandonner graduellement leur souveraineté territoriale, affaiblis qu’ils sont par les attaques des guerriers des Cinq Nations, affaiblis aussi et surtout par les épidémies qui déciment leur population et restreignent leur capacité d’exercer la surveillance sur leur territoire. Par un étrange retournement de l’histoire, de conclure Alain Beaulieu, les Innus qui avaient accueilli les Français sur leur territoire en 1603, devenaient moins d’un demi siècle plus tard dépendants de leur décisions politiques.
Et c’est ainsi qu’en portant une attention particulière aux aspects politiques et diplomatiques des relations entre les Innus et les Français, en décryptant les subtilités de leurs significations concrètes et symboliques, cette analyse d’Alain Beaulieu constitue un apport important à la connaissance du processus de constitution du rapport de domination colonial sur les populations autochtones.


2007
Stéphane CASTONGUAY
« Foresterie scientifique et reforestation : l’État et la production d’une “ forêt à pâte ” dans la première moitié du XXe siècle »
Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 60, n° 1-2, 2006, p. 61-93.

Stéphane Castonguay y analyse le type de rapport à la nature qui s’instaure au ministère des Terres et Forêts du Québec lors de l’émergence de l’industrie du papier au début du XXe siècle. Il explore les premiers pas du gouvernement du Québec dans le domaine de la foresterie scientifique et montre comment la création de la pépinière de Berthierville, du Service forestier, de l’école de foresterie de l’Université Laval et des réserve cantonales, participe d’une politique cohérente de reforestation qui promeut le reboisement d’un type particulier d’essence forestière, l’épinette blanche, afin de favoriser le développement du secteur des pâtes et papiers. Ce faisant, l’État québécois contribue au façonnement des paysages et de l’environnement forestier, et met en place les premières balises pour séparer l’espace forestier de l’espace de colonisation et faire cesser les conflits que cette situation a alimentés depuis le milieu du XIXe siècle. Cet article d’une grande richesse documentaire est une contribution remarquable au développement de l’histoire environnementale, ce «nouveau front pionnier» de l’histoire.


2006
Sylvie TASCHEREAU
« Échapper à Shylock : la Hebrew Free Loan Association of Montreal entre antisémitisme et intégration, 1911-1913 »
Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 59, n° 4, 2006, p. 451-480.

À partir des archives d’associations juives et celles des institutions provinciales impliquées dans l’affaire, cette analyse des activités fondatrices de la Hebrew Free Loan Association of Montreal est conduite avec rigueur et subtilité. L’article aborde le domaine des représentations et celui de l’action dans la vie publique, pour expliquer les difficultés exceptionnelles que la société de prêt a rencontrées dans l’obtention de sa reconnaissance légale.
L’interprétation des documents associatifs est faite au moyen d’une littérature secondaire bien choisie, d’envergure internationale lorsque le contexte le requiert, et de concepts utiles tels celui d’ «identité sociale», de représentation, de «présentation de soi» et d’appartenance ethnique.
L’engagement entre ces deux cultures politiques fait apparaître des préjugés multiples, au sein des gouvernants de la province, aux références variées, profondes et répandues, en particulier autour de l’image du Juif usurier. Ce cas présente une communauté juive aux motivations complexes, changeante et dynamique, traversée par des tensions de classe et d’appartenance ethnique. Il est replacé dans les contextes des traditions juives d’entraide, des réseaux mutuels propres à plusieurs minorités nord-américaines, et de l’histoire des stratégies d’intégration des Juifs du Canada.
L’auteure plaide pour une histoire des hostilités qui soit menée en concurrence avec celle des échanges. Elle peut ainsi montrer comment les fondateurs de l’association ont cherché à établir leur légitimité auprès du public montréalais, et comment ils ont utilisé, prudemment il est vrai, le langage de la citoyenneté commune pour y arriver. Ce faisant, elle retrace les possibilités d’alliance au sein des élites et des professions de toutes provenances ethniques, autour des notions de charité et de responsabilité individuelle.
Cette histoire représente un épisode de la transformation de deux mondes en contact mutuel, au cours duquel il nous est donné d’observer la «recomposition» de la communauté juive et les glissements des attitudes des chrétiens montréalais. Avant tout, elle convainc de l’importance d’étudier la variété des relations que la société juive a entretenues avec la société québécoise et canadienne.


2005
Catherine FERLAND
« Le nectar et l’ambroisie. La consommation des boissons alcooliques chez l’élite de la Nouvelle-France au XVIIIe siècle »
Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 58, no 4, 2004, p. 475-505

Pour célébrer les hauts faits, il est mieux parfois d’apporter les verres et même quelques bouteilles de son cru. L’auteure de l’article qui a retenu l’attention du jury pour le prix Guy Frégault avait tout prévu pour vous offrir ce qu’elle appelle «Le nectar et l’ambroisie». Il est loin le temps où la bouteille ne faisait pas bon ménage avec la science. Son évocation de «La consommation des boissons alcooliques chez l’élite de la Nouvelle-France au XVIIIè siècle» est tirée d’une recherche doctorale dont elle développe un aspect dans cet article.
Situant ses recherches dans les travaux récents sur l’histoire du vin en France, Catherine Ferland s’est inspirée des études anthropologiques sur le Boire, en particulier celles de Mary Douglas, études qui permettent d’en cerner les usages, les prescriptions et les connotations identitaires concernant soi et les autres. À une époque où les bières artisanales n’avaient pas la cote, le vin et les liqueurs importées et surtout certains vins dispendieux étaient recherchés pour leur goût et leur effet mais aussi pour se distinguer et impressionner les invités.
Inventoriant des sources diverses, listes de vins importés, trouvailles archéologiques, inventaires après décès, témoignages de voyageurs ou correspondances, Catherine Ferland trace un portrait coloré des repas ordinaires comme des banquets et fêtes nocturnes relevant plusieurs indices des pratiques du boire chez les élites qui se rapprochent dans l’ensemble de celles observées en France à l’époque. L’écriture élégante et une présentation qui par moment rappelle la mise en scène ne sauraient étonner puisqu’un article publié dans le Fil des événements, nous apprend qu’elle a joué l’épouse du Bourgeois gentilhomme dans la Troupe des menus plaisirs, il y a quelques années. C’est avec grand plaisir que le jury lui a décerné le prix Guy Frégault pour son article qu’il faut lire après un repas bien arrosé.


2004
Cynthia S. FISH
« La puissance paternelle et les cas de garde d’enfants au Québec, 1866-1928 »
Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 57, n° 4, 2004, p. 509-533.

La question de la garde des enfants figure au centre de l’actualité depuis quelques années, des pères protestant contre la pratique actuelle de remettre habituellement la garde des enfants à la mère, dans les cas de divorce ou de séparation. La situation est diamétralement opposée à celle qui prévalait il y a un siècle, puisque le principe de la puissance paternelle, selon le Code civil de la province de Québec, exigeait que les enfants soient remis au père.
Il s’est donc produit, en un temps relativement bref, un renversement complet du cadre juridique et l’article de Cynthia S. Fish nous permet de comprendre les modifications idéologiques qui ont provoqué ce retournement. Par une analyse très fine du discours observé dans les textes juridiques autour de la puissance paternelle, elle nous permet de comprendre quels arguments ont progressivement mis l’accent sur le droit des enfants plutôt que sur le droit des pères, que proposait le code par l’article 243.
L’auteure présente une excellente revue de la littérature autour de cette question et expose la méthodologie utilisée pour retracer les 67 décisions juridiques qui servent de base à son analyse. À travers la rhétorique des juges de l’époque, à propos de la nature des liens du sang, on décèle un véritable effort de préserver la famille nucléaire. Même si cela signifiait de retirer l’enfant d’un foyer adoptif pour le confier à la mère.
La rupture se produit autour de 1890 et s’ouvre sur deux discours. Le premier, le plus acharné à contester le principe de l’autorité paternelle, était fondé sur l’idée que la femme était naturellement plus douée que l’homme pour élever des enfants. Le second tenait pour acquis que, malgré leurs désirs ou leurs droits, les pères étaient physiquement incapables de combler les besoins affectifs de leurs enfants, à cause de leurs responsabilités professionnelles.
Cette transformation se produit sensiblement au même moment dans plusieurs pays. Mais l’auteure nous démontre qu’au Québec, les juges ont tenu à maintenir intact le principe de l’autorité paternelle dans la loi, en maintenant séparés les deux aspects de la question. Au point de vue politique, les juges ont protégé le symbole premier de l’autorité patriarcale et l’inviolabilité de la puissance paternelle. Dans la pratique toutefois, ils acceptaient de tenir compte des revendications de la mère au nom des besoins des enfants.


2003
Lucia FERRETTI
« L’Église, l’État et la formation professionnelle des adolescents sans soutien : le Patronage Saint-Charles de Trois-Rivières, 1937-1970 »
Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 56, n° 3, 2003, p. 303-327

Sise au carrefour de champs qui retiennent l’attention des historiennes et des historiens : l’histoire religieuse, l’histoire de la jeunesse et l’histoire de l’éducation, cette étude dépasse la recherche empirique de Lucia Ferretti sur un orphelinat, centre de formation et école de métiers, le Patronage Saint-Charles. Elle illustre la complexité des relations entre l’Église catholique et l’État québécois dans le domaine social, et elle pose un jalon à l’étude de la jeunesse, ici défavorisée, du Québec.


2002
James MURTON
« La “Normandie du Nouveau Monde”: la société Canada Steamship Lines, l’antimodernisme et la promotion du Québec ancien »
Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 55, no 1, 2001, p. 3-44.

De plus en plus les spécialistes en histoire confrontent les représentations d’un événement ou d’un peuple et la réalité, en autant que celle-ci puisse se laisser cerner. Un des thèmes ainsi déconstruit est l’antimodernisme québécois. L’article de James Murton, « La “Normandie du Nouveau Monde”: la société Canada Steamship Lines, l’antimodernisme et la promotion du Québec ancien », retrace la construction du mythe de l’habitant québécois, construit par la publicité d’une compagnie maritime destinée surtout aux Américains et encouragée par le développement de l’artisanat, dans le but de répondre aux exigences du marché touristique. Une étude originale, fouillée et qui laisse voir un passé complexe dont l’interprétation n’est pas sans conséquences aujourd’hui.


2001
Christian DESSUREAULT
« Parenté et stratification sociale dans une paroisse rurale de la vallée du Saint-Laurent au milieu du XIXe siècle »
Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 54, no 3, 2001, p. 411-447.

En mesurant les réseaux et l’étendue des rapports de parenté dans une paroisse, Christian Dessureault jette un éclairage nouveau sur la composition démographique de la paroisse de Saint-Antoine-de-Lavaltrie. Cette étude prend en compte les variations dans les densités des réseaux de parenté selon le statut socioprofessionnel des chefs de ménage et selon le sexe des conjoints. Il est également attentif aux écarts à l’intérieur de chacune de ses catégories d’analyse. Sa conclusion, prudente, remet en question l’image de paroisses rurales tricotées serrées et appelle à d’autres études de même nature.


2000
Thierry NOOTENS
« Famille, communauté et folie au tournant du siècle »
Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 53, no 1, 1999, p. 93-119.

Le volume 53 contenait plusieurs excellents articles aux saveurs variées qui ont rendu la tâche du comité à la fois difficile et passionnante. L’article retenu se signale d’abord par son approche. Utilisant les archives de l’interdiction judiciaire du district de Saint-François au tournant du siècle, l’auteur donne aux familles et aux communautés un rôle de premier plan en matière de «gestion» des troubles mentaux. Il rappelle que les asiles, qualifiés d’institutions totales sinon totalitaires par une histoire peut-être trop philosophique, ne sauraient survivre s’ils ne répondent pas au moins partiellement à certains besoins. C’est ainsi que l’auteur est amené à concevoir la pratique d’interdiction des personnes atteintes de «folie» comme une stratégie familiale ou communautaire plutôt que strictement institutionnelle. Bien écrit, bien documenté et bien ciblé, ce travail présente en outre une histoire plus complète de la question des troubles mentaux au Québec. Le prix Guy et Lilianne Frégault 2000 est décerné à Thierry Nootens pour son article «Famille, communauté et folie au tournant du siècle» paru dans le numéro d’été 1999 de la Revue.