Principale revue consacrée à l’histoire au Québec, la RHAF a constitué un haut lieu pour l’exposition et la défense d’idées, d’hypothèses, de méthodes et parfois d’engagements scientifiques. À l’occasion, elle s’est transformée en espace de débats parfois vifs et vigoureux. Nous rassemblons ici quelques-uns des débats historiographiques qui ont animé nos pages depuis plus d’un demi-siècle. Ils constituent une matière pédagogique engageante pour ceux et celles qui s’initient à l’histoire, et permettent de prendre la mesure non seulement des transformations de la discipline historique, mais également de la résurgence de certains enjeux qui ont préoccupé les historiens et les historiennes.

Le rôle de l’État dans le processus d’industrialisation (Robert Sweeny et Martin Petitclerc, 2018)

Ce débat autour du livre Why Did We Choose to Industrialize? de Robert Sweeney porte sur la place et le rôle de l’État dans la transition au capitalisme au XIXe siècle au Bas-Canada et particulièrement à Montréal. Alors que Sweeney actualise la perspective du matérialisme historique pour analyser cette transition, Petitclerc soulève le danger de laisser l’État en arrière-plan et de procéder à la « séparation du politique et de l’économique ». Sweeney réplique que grâce à sa perspective, l’État apparaît dans son action régulatrice et quotidienne dans la vie des gens et que bref, « au lieu de voir l’État par le haut, on le voit par le bas ». Petitclerc répond que malgré son riche apport, cette perspective ne permet pas de comprendre pourquoi, vers le milieu du XIXe siècle et notamment à propos des Rébellions, les « luttes de pouvoir se manifestent désormais dans l’univers du politique ».

L’enseignement de l’histoire nationale (Michèle Dagenais, Christian Laville, Robert Comeau, Josianne Lavallée et Félix Bouvier, 2007)

Le débat sur l’enseignement de l’histoire du Québec a été l’un des plus bouillants depuis les années 2000. Au milieu de la décennie, la RHAF a ouvert ses pages à une vigoureuse confrontation entre deux postures, l’une prônant l’actualisation de l’enseignement de l’histoire afin de l’adapter à la diversité culturelle du Québec, et l’autre défendant l’enseignement d’une trame privilégiant les grands repères de l’histoire nationale et politique. Comme vous le verrez, les enjeux soulevés par ce débat sont encore bien d’actualité.


L’empirisme en histoire (Jean-Marie Fecteau et Donald Fyson, 2007)

Ce débat porte sur l’ouvrage Magistrates, Police and People de Donald Fyson. Jean-Marie Fecteau se questionne sur le danger d’un empirisme (le vécu, l’expérience des masses) qui négligerait la théorie et les grandes interprétations. Il soulève aussi le problème de l’histoire par le bas pour aborder globalement les enjeux du changement. Donald Fyson réplique en avançant que cette histoire permet de déceler des continuités entre le passage d’un régime à l’autre qui échappent à d’autres types d’analyse. J.-M. Fecteur rétorque que cette perspective nourrit la vision d’une histoire qui avance par petites mutations accumulées et qui risque donc de s’imposer comme téléologique.

L’objectivité en histoire (Ronald Rudin, Paul-André Linteau, Fernand Harvey, 1998)

Ce débat a pour origine le livre publié par Ronald Rudin (Making History in Twentieth-Century Quebec), qui avançait la thèse du révisionnisme pour expliquer le rapport à l’objectivité des historien.ne.s post-1970. Paul-André Linteau et Fernand Harvey accusent l’auteur d’avoir déformé leur propos (du français à l’anglais) et même d’avoir créé des pièces à conviction historiographiques. Rudin rétorque qu’il faut élever le débat vers des enjeux plus larges afin de mieux situer la production historienne dans son temps et son espace, mais sa réponse ne satisfait pas ses collègues, qui attirent une fois de plus l’attention sur une traduction qu’ils trouvent abusive.